Un salarié risque-t-il des sanctions disciplinaires ou pénales pour un téléchargement illégal sur son lieu de travail ? Inversement, un employeur peut-il initier un licenciement à ce motif ? Télécharger illégalement chez soi des films, musiques ou tout autre contenu protégé par des droits d’auteur est une pratique punie par la loi française. La faute peut s'avérer subséquemment plus lourde lorsque c’est un salarié qui le fait sur un ordinateur professionnel avec la connexion Internet de l’entreprise.
Le téléchargement de films, de vidéos, de musique ou encore d’e-books chez soi, sur des liens directs est légalement autorisé, tout comme leur consultation en streaming. En revanche, lorsqu’il s’agit de les télécharger via les plateformes pair-à-pair (P2P), l’acte peut constituer un délit de contrefaçon, dans la mesure où les oeuvres en question sont protégées par des droits d’auteur.
Dans ce cas, l’internaute risque une sanction pénale qui peut aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende. Dans la pratique, c’est la Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des ?uvres et la protection des droits sur Internet) qui se charge d’appliquer des sanctions, mais de manière graduée sur diverses étapes, à commencer par un avertissement.
Cette institution a été créée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009](https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020735432&categorie "Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet") favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi Hadopi 1 ou loi création et internet. Cette dernière a ensuite été complétée par [la loi n° 2009-1311 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet dite loi HADOPI 2 du 31 décembre 2009. C’est à travers ces textes que la législation punit le téléchargement illégal de manière croissante en cas de récidive (riposte graduée).
Concrètement, l’Hadopi envoie d’abord un email d'avertissement à l’adresse liée à l’abonnement internet de l’internaute. En cas de récidive dans les 6 mois qui suivent le premier courrier, un second courrier est envoyé par le biais d'une lettre recommandée. Si l’intéressé récidive dans les 12 mois qui suivent ces procédures, il recevra une lettre remise contre signature provenant de la Commission de Protection des Droits.
Cette étape a pour but d’informer l’internaute qu’il risque des poursuites pénales, notamment pour négligence caractérisée. La procédure Hadopi aboutit généralement à des contraventions de 5e classe avec une amende maximale de 1500 €, mais en complément des sanctions déjà prévues par le Code pénal en matière de contrefaçon (poursuites du propriétaire de l’?uvre contrefait ou de l’ayant droit). Depuis 2013, la suspension de l'abonnement à l'Internet qui est une sanction prévue par la loi Hadopi 1 n’est plus appliquée.
Si tout le monde est concerné par les réglementations liées au téléchargement d’?uvres protégées, pour le salarié, les risques encourus sont néanmoins plus étendus, puisque les sanctions peuvent être aussi bien pénales que disciplinaires (à l’égard de son statut). En effet, tous les matériels présents dans une entreprise sont voués à être des outils de travail.
Dans cette optique, le fait de télécharger une oeuvre protégée par des droits d’auteurs, depuis un ordinateur professionnel et en utilisant l’adresse IP de l’entreprise constitue une faute pénalisable au regard de l'employeur. Outre ces sanctions professionnelles, l’employé sera aussi poursuivi par la Hadopi et pourra être traduit en justice par les ayants-droits de l’oeuvre téléchargée.
La jurisprudence en matière de téléchargement illégal dans le milieu professionnel permet de revenir sur deux affaires, qui se sont toutes soldées par un licenciement pour faute grave.
La première s’est déroulée à Versailles où un employé d'une étude d'huissier de justice a été licencié pour avoir téléchargé illégalement des oeuvres musicales à partir de l'adresse IP de l’entreprise. L’ordinateur professionnel de l’intéressé, alors absent, avait téléchargé automatiquement des fichiers musicaux avec un logiciel installé depuis plusieurs mois, et ce à partir de l’adresse IP de l’étude.
En théorie, un employeur ne peut, sauf événement ou risque particulier, ouvrir des fichiers enregistrés comme personnels par un salarié sauf si celui-ci est présent ou qu’il a été dûment prévenu (Cass. soc. 17-5-2005 n° 03-40.017 ; Cass. soc. 17-6-2009 n° 08-40.274 : N-VIII-6260 s.). L’employeur de l’étude d’huissier de justice a pourtant ouvert les fichiers archivés par le salarié dans un dossier classé « personnels ». La semaine d’après, ces fichiers ont été consultés devant le salarié et retrouvés dans le même répertoire.
Après avoir contesté les motifs du licenciement devant le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, puis été débouté de ses demandes, l’intéressé a interjeté l’appel, mais sans succès. La Cour d’appel de Versailles, 5e chambre, a validé son licenciement puisque la première ouverture du fichier « personnel » a servi à identifier et à interrompre le téléchargement automatique (événement ou risque particulier). La deuxième consultation du fichier a ensuite confirmé la faute.
Dans la deuxième affaire (Poitiers), un salarié en CDD d'une boutique de produits de vapotage a été licencié après une mise à pied pour avoir téléchargé des films et contenus pornographiques en P2P. Il les a pourtant effacés de son ordinateur professionnel, mais l’employeur a été interpellé par un avertissement de la Hadopi et a donc utilisé un logiciel de récupération de données effacées afin de constater la faute.
Si une procédure pour licenciement abusif a été validée devant le Conseil des Prudhommes de Poitiers, 1 900 € d’amende à la clé, c'est l’employeur qui a finalement eu gain de cause en appel. Le salarié avait en effet évoqué la possibilité qu’une autre personne ait pu créer les fichiers en question, mais il fut prouvé qu’il ait été "le seul à avoir eu accès au PC de l'entreprise" durant cette matinée du 19 octobre 2013. Le dossier avait par ailleurs été nommé avec les initiales de l’intéressé avant d’être effacé.
Le licenciement a donc été jugé conforme au Code du travail puisque le téléchargement illégal exposait l’employeur à des risques de poursuites pénales en tant que le titulaire de l’accès internet.
Si le téléchargement illégal avec un ordinateur professionnel et depuis l’adresse IP de l’employeur est constitutif d’une faute grave, il appartient à ce dernier d’en apporter suffisamment de preuve. Un employeur dans un magasin informatique à Villeurbanne a notamment perdu son recours en justice face à un salarié qu’il a licencié pour « téléchargements illégaux et répétitifs au sein de l'entreprise ».
Dans une affaire qui remonte à fin mai 2010, un salarié d’un magasin informatique situé à Villeurbanne a été licencié pour faute grave : « téléchargements illégaux et répétitifs au sein de l'entreprise ». Ce seul motif n’a pas pourtant permis à l’employeur d’obtenir gain de cause devant la Cour d’appel de Lyon en 2013 après le recours de l’employé. En effet, le plaignant n’a pu apporter comme preuve qu’un relevé de connexion affichant une seule visite de deux minutes et demie sur un site de liens torrent.
Pour les magistrats, la consultation dudit site, même si celui-ci permet le téléchargement illégal d’oeuvres protégées, ne justifie pas du fait que le salarié soit passé à l’acte. Cela ne prouve pas non plus qu’il ait procédé à des téléchargements répétitifs. Par ailleurs, si relevé montrait également une utilisation personnelle de la connexion du travail à travers des visites sur des sites tels que Meetic, Facebook ou encore Jeux-video.com, ces dernières n'ont pas pu être reprochées au salarié l'action en justice ayant été initiée pour « téléchargements illégaux et répétitifs au sein de l'entreprise ».
La Cour d’appel de Lyon a donc considéré le licenciement comme abusif, car ne reposait sur aucune cause réelle et sérieuse. L’ex-salarié a donc perçu 5 000 € de dommages et intérêts et 1 000 € pour licenciement vexatoire. Insistant sur un recours devant la Cour de cassation, l’employeur se trouva à nouveau débouté de sa demande, la haute juridiction estimant que la Cour d’appel avait bien justifié sa décision. Par conséquent, le plaignant a de nouveau été condamné à verser 3 000 € à l’ex-employé pour frais de justice.
La preuve du téléchargement est indispensable pour constituer un motif de licenciement valable. Le plaignant doit par ailleurs prouver que le salarié a bien été l’auteur de l’acte et que cela ne peut pas être imputé à une autre personne qui aurait pu accéder à son ordinateur professionnel. Enfin, la preuve doit avoir été obtenue à partir de procédés légalement autorisés. En effet, un employé doit être préalablement informé de la mise en place d'un dispositif de filtrage, ou de tout autre système permettant de surveiller l’usage des ordinateurs dans l’entreprise.
L'employeur n’est pas non plus autorisé à consulter un dossier sur l’ordinateur professionnel si ce dernier a été nommé « personnel » par son salarié, sauf en cas d'un risque avéré susceptible d’entraîner des dommages ou dysfonctionnement pour la société.
Afin de limiter l’usage abusif d’internet dans les bureaux, plusieurs entreprises ont pris la décision de bloquer et d’interdire l’accès, ou encore de réglementer les horaires de consultation de certains sites jugés contre-productifs, à l’instar des réseaux sociaux et des sites de vidéo en ligne.
Dans la pratique, et si les petites dérives sont souvent tolérées par les entreprises, un ordinateur de travail demeure un outil professionnel et il ne doit pas servir à des fins personnelles.