A quel moment se trouve-t-on dans une situation de harcèlement moral au travail ? Comment le prouver ? Dans quels cas de conflit ou de harcèlement, la rupture conventionnelle peut-elle être annulée ? Me PARAGYIOS, avocate au barreau de Paris, est experte du thème du harcèlement au travail. Elle a également travaillé aux Nations Unies (à New York) sur les thèmes du harcèlement et de la discrimination homme/femme au travail dans le cadre de transposition de directives européennes pour des pays d'Europe centrale et d'Europe de l'est. Elle nous explique ici quand un salarié se trouve, ou non, dans un cas d’harcèlement au travail et les différents recours.
On parle de harcèlement au travail quand les difficultés professionnelles ont un impact sur votre carrière ou votre santé.
La difficulté, pour les salariés, réside dans la qualification du harcèlement. Ils savent ce qu'est le harcèlement, en ont entendu parler dans les médias, mais il est difficile pour eux de savoir à quel moment la situation bascule et devient du harcèlement. Cela prend souvent beaucoup de temps aux salariés pour réaliser qu'ils sont en situation de harcèlement.
Les exemples de dépression sont nombreux, mais le mal être des victimes peut être encore plus profond, les poussant parfois jusqu'au suicide.
L'histoire de cette salariée d'une grande enseigne est bouleversante : elle était victime de harcèlement au point qu'elle s'évanouissait lorsqu'elle croisait l'enseigne dans la rue. Dans d'autres cas, les salariés continuent d'aller travailler, ils pensent tenir le coup pendant tout le temps de la procédure mais s'effondrent une fois l'affaire terminée.
Il faut donc réagir vite pour ne pas laisser s'aggraver une situation de harcèlement moral au travail, il en va de la santé du salarié.
Le rôle de l’avocat est aussi savoir expliquer au salarié client quand il ne se trouve pas en situation de harcèlement.
Par exemple, un salarié se croyait en situation de harcèlement car son supérieur hiérarchique ne lui avait pas répondu à un mail dans les 24h, ce qui pour lui était le signe d'avoir été mis au placard. Il faut, dans ce genre de cas, réussir à convaincre le client : ce sont des procédures longues, qui, au-delà de l'aspect financier, vont prendre énormément de temps et d'énergie au salarié qui se lance dedans.
Il existe deux grandes catégories de harcèlement au travail :
- Le harcèlement institutionnel : en cas de surcharge de travail, ou au contraire en cas de mise au placard. Ici, la preuve va pouvoir être apportée par le nombre de mails, de convocations, ou par d'autres actes (comme par exemple un ordre donné au collaborateur, mais sans en informer le salarié en question).
- Le harcèlement oral : il est caractérisé par des humiliations, des critiques, et peut aller jusqu'aux insultes, mais il y a souvent des problèmes de preuves. En effet, le salarié est en général seul face à son supérieur hiérarchique quand il se livre à des actes de harcèlement, et quand il y a des témoins présents, ils sont souvent encore en poste et ne veulent pas témoigner contre leur responsable ou leur employeur.
Dans les deux cas la preuve est libre, elle peut être apportée par tout moyen. Mais dans la grande majorité des cas se sont des mails qui vont prouver l'existence d'une situation de harcèlement.
Les salariés peuvent aussi s'adresser aux délégués du personnel, au médecin du travail, et même à l'inspection du travail. Il existe également des structures d'aide aux victimes de harcèlement et d'agressions qui vont soutenir les salariés victimes et les guider dans leurs démarches.
C'est généralement le fait du responsable hiérarchique mais bien souvent ce n'est pas lui tout seul dans son coin, c'est le fait de l'entreprise, de son fonctionnement. L'employeur aussi est responsable, même s'il n'est pas directement à l'origine du harcèlement, mais il a laissé faire, il n'a pas réussi à empêcher le harcèlement. Il existe des obligations de sécurité de résultat (ndlr : l’employeur doit assurer la sécurité de ses salariés et a une obligation de résultat et pas seulement de moyen) qui pèsent sur l'employeur (même si, dans les faits, cela ne lui empêche pas de ne pas les respecter).
En principe on peut signer une rupture conventionnelle alors même qu'il existe une situation de conflit entre l'employeur et le salarié, sauf si cette situation conflictuelle s'accompagne de pressions ou de menaces. Ainsi, en cas de harcèlement, on n'est en principe pas censé pouvoir signer de rupture conventionnelle.
En pratique, dans certains cas, la rupture conventionnelle ne va pas être frappée de nullité, mais il sera possible de demander réparation. Il existe un flou juridique sur ce point, la solution va dépendre des cas.
La rupture conventionnelle commençait à être de plus en plus utilisée, mais depuis 2013 le nombre de conclusion de ruptures conventionnelles a chuté de façon significative. La cause de cette perte de vitesse est le nouveau régime fiscal de la rupture conventionnelle, qui est beaucoup plus contraignant pour les employeurs. Les ruptures conventionnelles sont donc devenues très compliquées à conclure pour certaines entreprises, notamment lorsqu'il s'agit de salariés dont l'ancienneté est importante (ce qui implique que l'indemnité sera plus importante).
Conclusion
On le voit, le harcèlement doit être clairement définit et des preuves doivent être apportées avant de s’engager dans la procédure. Concernant la rupture conventionnelle, si une preuve de harcèlement n’empêche pas la conclusion d’une rupture conventionnelle, il est recommandé de ne pas la signer dans de tels cas, car il existe un risque que le consentement soit considéré comme vicié, car soumis à pression.
La possibilité de conclure une rupture conventionnelle est, dans l'ensemble, une bonne chose pour les salariés, d'autant que la DIRECCTE exerce un réel contrôle. Elle vérifie surtout qu'il ne s'agit pas d'un licenciement économique déguisé, et le contrôle est plus rigoureux encore lorsqu'il s'agit d'un salarié protégé.