_Du point de vue du droit du travail, le sport professionnel, et notamment le football, présente certaines particularités. Primes qui peuvent paraître excessives, indemnités de transfert, clause libératoire, etc. Les règles qui s’appliquent au contrat de travail du footballeur ne semble pas être les mêmes que dans le monde du travail « classique ». On peut donc s'interroger sur la forme et le contenu du contrat de travail du footballeur. Est-ce le même que pour n'importe quel salarié travaillant en CDI dans une entreprise ?
Antoine Séméria, avocat au Barreau de Paris, est expert en droit du sport. Il intervient régulièrement sur les thématiques juridiques liées au sport, comme la rédaction des contrats de travail des sportifs et des contrats de parrainage, l'assistance et la négociation lors des transferts de joueurs, ou l'assistance des sportifs devant les juridictions disciplinaires et juridictionnelles. Il exerce également l'activité de mandataire sportif pour le compte de sportifs professionnels. Il a accepté de répondre à notre interview et de nous livrer son analyse._
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La Convention collective nationale du sport admet le recours au CDD d'usage dans le sport professionnel. En effet, le sport professionnel est un secteur « dans lequel il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ».
Comme pour les contrats de travail à durée déterminée, la rupture d’un CDD d’usage est strictement encadrée. Le CDD peut être rompu avant son échéance uniquement dans les cas suivants :
Elles sont nombreuses, et je pense notamment à deux d’entres elles :
Sur la première clause susvisée, l’obligation de saisine préalable de la Commission juridique de la Ligue de Football Professionnelle (LFP) trouve son fondement juridique dans la Charte du football professionnel qui a valeur collective et qui prévoit, en son article 51, que :
« La commission juridique, dans le cadre des textes législatifs et de la CCNMF, a compétence pour : (…) ; Tenter de concilier les parties en cas de manquements aux obligations découlant d’un contrat passé par un club avec un joueur, un éducateur ».
Cela signifie que lorsqu’un employeur envisage la rupture du contrat de travail d’un joueur ou d’un éducateur pour un manquement à ses obligations, le litige doit, préalablement à la saisine du Conseil des Prud’hommes compétent, être porté devant la commission juridique pour tentative de conciliation.
Il s’agit là d’une véritable spécificité propre au football professionnel.
En ce qui concerne la seconde clause, dite libératoire ou de rachat, elle a notamment pour objet de permettre au joueur ou club de mettre unilatéralement terme au contrat moyennant une indemnité définie par avance. Si en théorie une telle clause est interdite par les règlements de la Ligue de Football Professionnel (article 202), en pratique, il n’est pas rare d’en trouver dans les contrats de travail des footballeurs professionnels.
Un exemple récent est venu nous le rappeler. En effet, Monsieur Khazri, joueur de football professionnel, avait renouvelé en 2012 son contrat de travail avec le Club de Bastia pour une durée de 3 ans. Une clause libératoire était insérée au contrat. Le joueur, souhaitant partir au mercato estival 2013, a fait part de son intention de quitter le club aux dirigeants corses. Le club a alors indiqué au joueur qu’il était lié au Club jusqu’en 2015. Le litige reposait sur l’engagement qui aurait été pris par le club bastiais de laisser partir son joueur sur la base d’une clause libératoire. Le club corse espérant tirer un bénéfice de la revente du joueur n’a pas entendu faire jouer cette clause libératoire. Pour manifester son mécontentement, le joueur a cessé de participer aux entraînements et aux matches de son équipe. Risquant de se voir licencier pour faute, le joueur a finalement réintégré le groupe professionnel.
Le récit de cet épisode me permet de faire la transition sur la question posée quant à la nature des obligations mises à la charge des sportifs professionnels et plus particulièrement des footballeurs professionnels. Comme tous salariés, le footballeur professionnel est astreint au respect de certaines obligations vis-à-vis de son employeur. Parmi ces obligations, nous pouvons citer, l’obligation de :
Dans le cadre de l’exercice de son activité footballistique le joueur devra mettre en œuvre toutes ses qualités, ses compétences et son talent au service du club pour lequel il s’est engagé. Il s’agit là d’une obligation de moyens.
Le joueur ou l’entraineur ne pourra pas, en conséquence, être licencié pour faute grave en cas d’insuffisance de résultats. (Ch.Soc. 7/7/1993 – N°89/44850)
En complément de sa rémunération, il n’est pas rare de voir insérer au contrat de travail du sportif professionnel des primes en lien avec l’assiduité du joueur, son éthique ou encore ses performances. Il faut savoir que le versement de ces primes ne constitue pas une économie pour l’employeur dans la mesure où elles sont soumises aux cotisations et contributions sociales.
Seules les sommes versées au titre de frais professionnels sont exonérées des cotisations susvisées. C’est la raison pour laquelle il est régulièrement ajouté au contrat de travail des sportifs des clauses d’indemnités kilométrique ou de double résidence.
En plus de ces différentes primes et défraiements, le joueur pouvait bénéficier, jusqu’en 2010, d’une rémunération correspondant à la commercialisation de l’image collective à laquelle il appartenait. Cette rémunération permettait aux clubs professionnels d’être exonérés de 30% de charges sociales sur la rémunération versée aux joueurs. Ce mécanisme d’exonération de charges sociales devait initialement durer jusqu’en 2012. Les parlementaires ont décidé d’anticiper la fin de cette mesure pour la ramener au 30 juin 2010.
Le système de transfert des joueurs est un exemple qui illustre parfaitement la spécificité du sport. Il est né de l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 rendu par la Cour de Justice des Communautés européenne qui a mis fin aux deux pratiques suivantes :
Les transferts de joueurs sont régis par un ensemble de règles dérogatoires au droit commun établis pas les institutions sportives.
Le régime des transferts internationaux de sportifs professionnels tel qu’il existe aujourd’hui limite la liberté des joueurs de changer d’employeur en établissant des conditions restrictives pour une telle mobilité. Il impose un système d’indemnités de transfert entre les clubs qui vise à éviter une interdiction totale à la mobilité des joueurs.
Cette restriction à la libre circulation des personnes est justifiée par souci du maintien de l’intégrité et de l’équité des compétitions. Elle a aussi pour but de soutenir la solidarité, la redistribution des ressources parmi les clubs (pour assurer l’intégrité et l’équité des compétitions) et la promotion de la formation.
Toutefois, dans un contexte de crise et d’accroissement de la dette des clubs de football professionnel, le système des transferts tel qu’il existe aujourd’hui montre ses limites.
Il peut tout à fait être prévu une période d’essai dans le contrat de travail du footballeur.
Conformément à l’article 1242-10 du Code du travail, « cette période d'essai ne peut excéder une durée calculée à raison d'un jour par semaine, dans la limite de deux semaines lorsque la durée initialement prévue au contrat est au plus égale à six mois et d'un mois dans les autres cas. Lorsque le contrat ne comporte pas de terme précis, la période d'essai est calculée par rapport à la durée minimale du contrat ».
Conformément à l’article 606 de la Charte du Football professionnel : « Le règlement du salaire mensuel fixe oblige tout joueur sous contrat à répondre présent à toutes les convocations (entraînements, matches, cours) et à suivre les instructions qui lui sont données dans le cadre de sa formation (soins, causeries…) et de sa profession ».
L’article 614 de la même Charte prévoit la liste des sanctions applicables aux joueurs absents ou en retard :
Refuser de venir à un entraînement ou une convocation sans justification constitue donc une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire à l’encontre d’un joueur.
La société sportive qui emploie un footballeur dispose à son égard d’un pouvoir disciplinaire. Cela signifie qu’en cas de manquement fautif du joueur dans l’exécution de son contrat de travail, l’employeur peut le sanctionner. Toutefois, toutes les formes de sanctions ne sont pas applicables.
Il en est ainsi des amendes expressément prohibées par le Code du travail à son article L.1331-2.
Si l’amende est strictement prohibée par le Code du travail,
Le footballeur peut notamment être licencié lorsqu’il commet une faute suffisamment grave rendant impossible le maintien du lien contractuel ou lorsqu’il est déclaré inapte par la médecine du travail.
Autre exemple intéressant : celui d’un joueur de football auquel il était reproché d’avoir pris du poids à l’intersaison. Par arrêt du 23 mars 2012, la Cour d’appel de Rennes sanctionne le club en requalifiant le licenciement pour faute en licenciement abusif après avoir constaté que le Club n’apportait pas la preuve que « le gabarit » du joueur était différent de celui de certains joueurs de son équipe.
En pareil cas, la sanction pécuniaire pour les clubs est lourde puisqu’ils sont condamnés à payer, sur le fondement de l’article L.1243-4 du Code du travail, les salaires restant dus jusqu'au terme du contrat de travail du joueur.
Je vous renvoie à mon blog www.avosports.fr pour d'autres exemples concrets de requalification de licenciements pour faute en licenciements abusifs.
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