Votre employeur décide, par exemple, de faire baisser votre rémunération? Est-ce qu'il en a le droit? Est ce qu'il modifie pour autant votre contrat de travail? Quels sont vos droits?
Il nous livre son expertise sur la modification du contrat de travail.
Il n’y a pas de définition précise de la modification du contrat de travail. C’est la jurisprudence qui a distingué et défini la modification du contrat de travail et la modification des conditions de travail. C’est la distinction charnière, celle qui a le plus de conséquences pratiques.
Le contrat de travail repose sur un socle : un salaire, pour un poste et une qualification déterminés, en un endroit déterminé. L’employeur et le salarié peuvent convenir, à l’embauche ou par avenant, qu’un élément supplémentaire fait partie de ce socle : l’absence de travail le mercredi après-midi par exemple, si le contrat précise que c’est un élément déterminant de la relation de travail.
Toucher à ce socle, c’est modifier le contrat de travail. Pour schématiser, toucher au reste, c’est modifier les conditions de travail.
Et c’est d’importance dans la mesure où modifier le contrat de travail exige l’accord du salarié, lorsque la modification des conditions de travail peut se faire sans l’accord du salarié.
Toutefois, je tiens à nuancer tout de suite mon propos : le droit, c’est souvent une affaire de subtilité. Ce n’est pas parce qu’un élément de la relation de travail ne relève pas du socle qu’il n’y a pas modification du contrat de travail. Et inversement, ce n’est pas parce qu’un élément fait partie du socle que tout changement est interdit.
Par exemple:
Les horaires de travail ne font pas partie du socle, sauf précision du contrat de travail. Mais si le changement d’horaires consiste à passer d’un travail de jour à un travail de nuit, ou consiste à passer d’un horaire continu à un horaire discontinu (avec une coupure de 3 à 4 heures en milieu de journée, ce que l’on peut observer dans le commerce), alors il y a modification du contrat de travail.
Que le lieu soit mentionné dans le contrat de travail n’empêche pas l’employeur de déménager au sein du même bassin d’emploi. Que le poste soit contractuel n’empêche pas l’employeur d’ajouter un échelon hiérarchique, à la condition que les responsabilités confiées au salarié ne soient pas affectées.
La rémunération est le premier élément du contrat de travail. Tout changement est une modification du contrat de travail et exige l’accord du salarié.
J’insiste sur cette question parce que certains articles parus dans la presse généraliste peuvent semer le doute.
Le 12 juin 2014, la Cour de Cassation a jugé qu’une modification de la rémunération d’un salarié pouvait ne pas justifier la résiliation du contrat de travail parce que la modification était minime et ancienne. Le jour-même, L’Express notamment titrait une dépêche selon laquelle l’employeur pouvait désormais modifier unilatéralement la rémunération des salariés. L’erreur sera corrigée dès le lendemain.
Il faut être précis. Lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations, le salarié peut demander au juge de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur (la résiliation judiciaire) à la condition que le manquement de l’employeur soit suffisamment grave.
Le 12 juin 2014, la Cour de Cassation a précisé un peu plus les conditions : pour que le manquement de l’employeur justifie la résiliation judiciaire, il faut un manquement grave et « rendant impossible la poursuite du contrat de travail ». Si la poursuite du contrat de travail est impossible, le manquement doit être important et récent et le salarié doit réagir vite. Parce que la modification de la rémunération (il était question du mode de calcul d’une partie variable du salaire) était minime et ancienne, elle n’avait pas rendu impossible la poursuite du contrat de travail. Le salarié était resté plusieurs années en poste et ne pouvait plus invoquer la résiliation judiciaire.
Mais, et c’est ce qui est important, le salarié peut réclamer, y compris en justice, le paiement du salaire prévu par son contrat de travail, avant la modification imposée par l’employeur. Il devra alors faire attention à la prescription, passée de 5 à 3 ans avec la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi, ce qui est une aberration.
Pour une raison simple, et que chacun doit garder à l’esprit avant d’engager un bras de fer avec l’employeur. C’est peut-être une vision cynique mais le droit ne vaut rien en théorie. C’est sa mise en œuvre qui importe. Et la réalité, c’est qu’avec 3,5 millions de chômeurs, le salarié n’est pas en position de force.
C’est bien beau d’agir en justice contre son employeur. Mais c’est au prix des relations au travail. Avant d’entamer un processus de réclamation, le salarié doit bien réfléchir aux objectifs qui sont les siens. Quel salarié peut prendre le risque de réclamer le paiement de rappels de salaires en justice alors qu’il est en poste. Comment croire que cela n’aura pas d’incidence sur le déroulement de sa carrière, voire sur sa présence dans l’entreprise.
En réduisant la prescription, on n’incite pas le salarié à réclamer rapidement ce qui lui est dû, ou à agir rapidement en justice. On le prive, une fois son contrat de travail rompu, de la possibilité de réclamer l’intégralité de ce qui lui est dû puisqu’il ne peut plus remonter 5 ans en arrière. Fort heureusement, un mouvement jurisprudentiel tend à suppléer le politique : sous couvert du libre accès au juge, la tendance est à considérer que le salarié, licencié pour avoir porté son affaire en justice alors qu’il était toujours en poste, pourra solliciter la nullité du licenciement et imposer une réintégration à l’employeur, et pas seulement le versement de dommages-intérêts.
Les clauses de ‘variable’ sont possibles au sein du contrat de travail et, en particulier, les clauses de salaire variable ou les primes d’objectifs.
Les clauses de mobilité géographique sont également licites, à la condition de définir expressément une zone géographique au sein de laquelle la mobilité trouvera à s’appliquer.
Ensuite, il est utile de préciser que, bien que licite, l’employeur ne peut pas toujours mettre en œuvre arbitrairement une clause de mobilité. L’abus dans la mise en œuvre peut être sanctionné, lorsque cette mise en œuvre participe d’un harcèlement moral par exemple. Ca devient alors un problème de preuve puisque le salarié devra alors prouver en quoi la mise en œuvre relève d’un abus de l’employeur.
Classiquement, la modification du contrat de travail passe par un avenant. Il n’y a pas d’autre formalisme précis à suivre, sauf, éventuellement, ce qui peut être prévu par la convention collective. La convention des ingénieurs et cadres de la métallurgie, par exemple, prévoit un délai de réflexion de 6 semaines entre la proposition de modification et l’acceptation du salarié.
L’accord du salarié doit être express. Concrètement, cela passe par la signature de l’avenant.
Cet accord doit être express. Cela signifie que le silence du salarié ne peut pas valoir acceptation.
Cela va même plus loin : si le salarié travaille conformément à une modification imposée unilatéralement par l’employeur, on pourrait être tenté d’en déduire que le salarié a implicitement accepté la modification du contrat de travail. La jurisprudence le refuse et le salarié peut revendiquer le retour à l’application stricte du contrat de travail. A lui ensuite d’apprécier s’il est opportun de créer un conflit potentiel avec l’employeur.
Attention, ça ne veut pas dire que le silence gardé après une modification imposée n’aura absolument pas de conséquence. J’ai cité l’arrêt du 12 juin 2014. Le silence gardé trop longtemps par le salarié l’empêchera d’invoquer le non-respect du contrat au soutien d’une demande de résiliation judiciaire. Le silence gardé trop longtemps à la suite d’une modification unilatérale du salaire par exemple verra le salarié se confronter à la prescription de son action en paiement de rappels de salaires.
Il faut être clair et précis.
J’ai évoqué la différence entre modification du contrat de travail et modification des conditions de travail. Il est extrêmement important de savoir si on relève de l’un ou de l’autre.
En cas de modification du contrat de travail, rien n’oblige juridiquement le salarié à accepter la modification. Le refus du salarié ne pourra pas être un motif légitime de licenciement.
Mais, en cas de simple modification des conditions de travail, refuser les modifications légitimement imposées par l’employeur (sauf abus) qui n’a pas besoin de l’accord du salarié, c’est s’opposer à son pouvoir de direction. C’est une faute qui peut justifier un licenciement.
Même en cas de véritable modification du contrat de travail, il faut mentionner 2 cas exceptionnels :
Rien ne s’oppose juridiquement à ce que le salarié revienne sur son refus initial.
La difficulté tiendra aux relations entretenues avec l’employeur. Sera-t-il toujours disposé à maintenir sa proposition ? Tout dépendra de l’intérêt que l’employeur trouvait à la modification. Tout dépendra du contexte dans lequel la proposition a été faite. Il vaut mieux, à mon sens, demander d’emblée un délai de réflexion plutôt que de partir sur une opposition de principe.
A l’inverse, il sera difficile de revenir sur l’accord d’ores et déjà donné par le salarié. Cela exige un nouvel avenant, et donc un nouvel accord entre le salarié et l’employeur.
Il y a toutefois une hypothèse où il est parfois possible pour le salarié de revenir sur son accord:
En cas de promotion, l’employeur ne peut pas en profiter pour imposer au salarié une nouvelle période d’essai, mettant en jeu sa présence même au sein de l’entreprise. En revanche, on trouve parfois des périodes probatoires qui ne mettent en jeu que les nouvelles fonctions exercées : si cette période probatoire ne donne pas satisfaction, il est mis fin à la promotion et le salarié retrouve son poste antérieur.
Le salarié prudent, signant un avenant emportant une promotion importante, et relevant un défit important, peut suggérer l’ajout d’une telle clause à son avenant. En pratique cependant, c’est montrer à l’employeur que l’on a des doutes sur ses propres capacités à tenir le job. Ca peut être délicat à amener dans la négociation.
Un dernier conseil ? Se tourner vers un avocat bien sûr.
Plus sérieusement, il peut être légitime de vouloir économiser le coût d’un avocat. Et l’on trouve un certain nombre de réponses sur Internet. Il faut se méfier. En premier lieu, il faut éviter les forums de discussion où chacun croit savoir et prend l’exemple d’une situation personnelle. Il faut privilégier les sites qui donnent la parole à des professionnels et ne jamais oublier que le droit est souvent une affaire de subtilités et d’exceptions. Les règles générales s’adaptent à des situations concrètes. Un détail peut vous faire basculer dans un autre système de règles et d’enjeux : une procédure disciplinaire, un motif économique.
Ensuite, il faut se contraindre à prendre du recul par rapport à sa propre situation : poser les choses à plat, en partant d’une feuille blanche, et sortir du cliché du méchant patron contre le gentil salarié. Que me propose ou m’impose mon employeur ? Est-ce un cas d’école et donc, à coup sûr, une modification du contrat de travail que je peux refuser ? Quelle est la raison de la proposition qui m’est faite : l’employeur a-t-il des difficultés ? ou cherche-t-il de toute façon à me faire partir ? Qu’est-ce que je veux moi : conserver à tout prix mon emploi ? ou saisir l’occasion pour négocier mon départ ?
Enfin, en cas de doute, il faut demander conseil. Dans l’entreprise, on privilégiera les délégués du personnel, tout en prenant du recul. Il est bon de chercher à savoir quelles sont les habitudes de l’employeur. Au-delà, on est dans un monde hypocrite et je ne devrais pas dire ce qui suit. Il y a d’excellents conseillers syndicaux, comme il y a de mauvais avocats. Le risque d’un conseiller syndical, même excellent, c’est d’opter, même involontairement, pour une interprétation militante du droit. A mauvais diagnostic, il n’y a que de mauvaises solutions. Mais qu’un avocat fasse la promotion des avocats, ça n’étonnera personne.