La mise en place d'une mutuelle d'entreprise, obligatoire est installée depuis le 1er janvier 2016. Comment fonctionne-t-elle ? Concerne-t-elle véritablement tous les salariés d'une entreprise ? Pour répondre à ces questions et faire le point sur cette réforme et son efficience, nous invitons dans cette interview Maître Kenza MOSTEFAOUI.
Me MOSTEFAOUI est inscrite au barreau de LYON depuis 2014. Issue d'une formation en droit social et management de l'entreprise, elle a une activité généraliste en droit des affaires.
Sa pratique dominante en Droit Social tant en Conseil et qu'en Contentieux auprès des entreprises PME/ETI lui confère une solide expérience sur les questions stratégiques et sensibles des décideurs RH actuels.
Sa pratique dominante en Droit Social tant en Conseil et Contentieux auprès des entreprises PME/ETI lui confère une grande expérience sur les questions stratégiques et sensibles des décideurs RH actuels. Au quotidien, Me MOSTEFAOUI développe également son expertise dans les domaines du droit des contrats, droit commercial et propriété Intellectuelle.
Ce que l'on appelle la "mutuelle d'entreprise" répond avant tout à un élan d'universalisation dans la prise en charge, par l'employeur, des dépenses de santé du salarié afin d'assurer à tous une égalité d'accès aux soins.
Plus précisément, il s'agit de la mise en place obligatoire dans chaque entreprise d'une couverture minimale collective de remboursement des frais de santé liés à une maladie, un accident ou une maternité et ce, depuis le 1er janvier 2016.
Il faut se souvenir que 74% des salariés étaient favorables à la mise en place d'une mutuelle d'entreprise.
On relève qu'en 2017, "99 % des PME/ETI/GE et 95 % des TPE" déclarent proposer une couverture santé à leurs collaborateurs "contre respectivement 85 % et 71 % en 2015" selon une étude AUDIREP menée pour le compte de "la Mutuelle Française" et de la FFA.
Le bilan peut donc être qualifié d'assez encourageant même si certains correctifs doivent être encore apportés notamment concernant l'offre de soins minimale devant être assurée par l'employeur et jugée encore trop faible par les salariés.
On note que dans les entreprises sondées, le niveau des garanties souscrites est plus élevé que le simple panier de soin minimal. Si certes, la plupart des budgets ne permettent pas de prestations haut de gamme, on constate qu'une grande partie des offres proposées se situent en milieu de gamme voire un niveau au-dessus.
Par ailleurs, toujours selon la même étude, les employeurs financent en moyenne plus de la moitié de la complémentaire santé de leurs salariés. Plus de la moitié des entreprises proposent également la couverture à l'ayant-droit.
On peut donc dire que la souscription et l'adhésion obligatoire ont été des véritables axes d'amélioration et d'accélération dans l'égalité d'accès aux soins pour les salariés. Voire même ont constitué, par la qualité des garanties proposées, une politique attractive de rémunération pour certaines entreprises.
Toutefois, certains mécanismes prévus par la loi atténuent quelque peu cette dynamique. En effet, la plupart des actes créateurs du dispositif de prévoyance complémentaire prévoient des cas de dispense d'affiliation permettant à bon nombre de salariés de ne pas adhérer à la mutuelle d'entreprise.
Outre ces dispenses conventionnelles, le législateur instaure des dispenses d'adhésion sans qu'elles aient à être mentionnées dans l'acte créateur du dispositif ce qui revient d'ailleurs à plus les considérer comme des exceptions au caractère obligatoire que comme des dispenses.
Dans tous les cas, l'employeur doit être en mesure de produire la demande de dispense des salariés concernés. Cette demande comporte la mention selon laquelle le salarié a été préalablement informé par l'employeur des conséquences de son choix.
La mise en œuvre des cas de dispense prévus par le présent article s'entend sans préjudice de l'application aux salariés concernés qui le souhaitent, des dispositions de l'article 11 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 faisant obstacle à ce que les salariés employés par l'entreprise lors de la mise en place par voie de décision unilatérale de l'employeur d'un système de garanties collectif couvrant les risques que ces dispositions mentionnent soient contraints de cotiser contre leur gré à ce système.
Or, lors de la mise en place de la mutuelle obligatoire la plupart des salariés disposaient déjà d'une mutuelle privée ou de celle de leur conjoint. La pauvreté de l'offre minimale jugée vraiment peu attractive pour les salariés a amené une partie d'entre eux à faire jouer les dispenses d'adhésion.
C'est pourquoi le succès de la mutuelle d'entreprise doit encore être relativisé compte tenu de ces réserves.
L'article R.242-1-6 précité est particulièrement clair. Toutes les entreprises doivent se doter d'un contrat d'assurance collectif à compter du 1er janvier 2016. Toutefois, il n'est attaché aucune sanction spécifique à cette obligation.
Mais, il est prudent de penser que l'absence de mise en conformité avec cette obligation légale expresse crée un risque indemnitaire pour l'employeur qui peut se révéler très lourd en cas de contentieux prud'homal.
En effet, l'obligationd'affiliation des salariés par l'entreprise à un régime de prévoyance est, en soi, une obligation de faire laquelle se résout en dommages et intérêts (C. civ., art. 1142, ancien) (Cass. Soc., 19 mars 2014, no 12-24.976)
Leur montant reste souverainement apprécié par les juges du fond selon le préjudice(Cass. soc., 8 oct. 1997, n° 95-40.009), avec toutefois un plancher : le montant de la prestation prévue par la convention(Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-15.124).
Le préjudice doit être apprécié sous l'angle de la perte de chance de souscrire plus facilement des garanties, en l'absence de toute proposition d'adhésion par l'employeur.
La jurisprudence reste toutefois pondérée quant à l'appréciation de ce préjudice et fixe une règle très nette en matière d'indemnisation : elle doit « être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée » (Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-42.741; Cass. soc., 4 nov. 2016, n° 15-24.148). Il ne peut ainsi s'agir de la somme dont le salarié aurait bénéficié dans le cadre du contrat.
Si la Cour de cassation exerce un contrôle sur la motivation des décisions, le montant attribué reste apprécié souverainement par les juges du fond. Comme pour toutes demandes d'indemnisation, les victimes doivent démontrer et chiffrer précisément leurs préjudices.
Le panier de soins minimal correspond à la couverture obligatoire minimale à laquelle doit souscrire l'employeur. Il s'agit notamment de la prise en charge totale ou partielle des dépenses évoquées à l'article L.911-7 et D.911-1 du Code de la Sécurité Sociale à savoir:
Le panier de soins minimal doit être a minima financé à hauteur de 50% par l'employeur.
Rien n'empêche l'employeur d'enrichir "ce panier" en négociant des garanties supplémentaires et notamment en matière de soins dentaires et soins d'optiques et ce, afin d'apporter une solution adaptée aux besoins des salariés.
L'employeur peut mettre en place le régime de complémentaire santé, selon l'article L911-1 du Code de la Sécurité Sociale :
Dans ce dernier cas, l'employeur met à la disposition de chaque salarié le projet d'accord référendaire comprenant le détail de l'ensemble des garantiesproposées. Les salariés peuvent ainsi tenter de renégocier les termes du contrat de souscription avant le vote.
La mise en place de la couverture santé doit bénéficier à l'ensemble des salariés. Les salariés à temps très partiel peuvent toutefois être dispensés d'adhérer à la complémentaire santé sous certaines conditions.
Le salarié doit notamment démontrer qu'il bénéficie déjà d'une couverture complémentaire répondant aux exigences du contrat responsable fixées à l'article L871-1 du Code de Sécurité Sociale.
Lorsque le salarié à temps partiel fait jouer cette dispense d'adhésion, l'employeur est tenu de lui verser un "chèque santé" ou "versement santé" afin de financer une partie de son contrat complémentaire santé individuel.
Il est également possible pour l'employeur de décider unilatéralement ou en vertu d'un accord de branche que les salariés à temps partiel soient soumis d'office à ce "versement santé". Selon l'article D.911-8 du Code de la Sécurité Sociale, le montant du versement est calculé de la manière suivante:
Contribution patronale x (durée du travail mensuelle du salarié/durée légale du travail mensuelle) x coefficient fixé à 105% pour les salariés à temps partiel
On constate donc que selon que le salarié fasse ou non jouer la dispense d'affiliation, l'employeur doit, en tout état de cause, lui garantir le financement d'une couverture santé.
Enfin il faut savoir que le versement du chèque santé ne peut se cumuler avec:
La protection du salarié perdure après la fin de son contrat de travail puisque ce dernier peut bénéficier au titre de l'article L.911-8 du Code de la Sécurité Sociale, de la portabilité de ses droits pendant une période maximale de 12 mois à compter de la rupture du contrat de travail.
La portabilité de la prévoyance est toutefois soumise à trois conditions:
Si l'ensemble de ces conditions sont respectées, l'employeur doit remettre, au moment de la rupture, une noticed'information au salarié afin de l'informer sur l'étendue de la portabilité de ses droits.
La portabilité prend effet dès la cessation du contrat de travail.
A noter que le défaut de remise de la notice d'information constitue un préjudice de perte de chance pour le salarié qui se résout en dommages et intérêt. (Cass. Soc. 4 nov 2016 n°15-24.148)
La portabilité des garanties de prévoyance cesse :
Bon à savoir:
Récemment, la Cour de Cassation a rendu un avis le 6 novembre 2017 largement publié. Elle s'est prononcée sur l'application de la portabilité dans l'hypothèse d'une entreprise faisant l'objet d'une liquidation judiciaire et pour les situations antérieures à l'Ordonnance du 4 mai 2017 portant modification des dispositions relatives aux organismes mutualistes.
Il a été ainsi considéré que la solution applicable était le maintien des garanties au profit des anciens salariés d'un employeur placé en liquidation judiciaire sous réserve que le contrat liant ce dernier avec l'organisme assureur soit toujours en vigueur.