Etre un salarié protégé n'empêche pas de pouvoir signer une rupture conventionnelle. Mais, l'implication d'un inspecteur du travail est nécessaire. Actuellement en poste à Strasbourg, François Stehly est inspecteur du travail chargé du contrôle des entreprises depuis un peu plus de 10 ans. Il a exercé ses fonctions dans trois régions différentes, ce qui lui a permis d’acquérir une expérience diversifiée. Il nous explique ici les points importants à connaître concernant la rupture conventionnelle d'un salarié protégé.
Durant mes études, j’ai été d'emblée très intéressé par le droit du travail. Au-delà des aspects « techniques », je suis sensible aux valeurs qui sous-tendent l’intervention de l’Etat dans les relations sociales, à savoir notamment la protection de l’intégrité physique, de la dignité et des droits fondamentaux des travailleurs, la recherche d’un point d’équilibre dans une relation de travail par essence inégalitaire.
Je ne pouvais donc qu’être attiré par un métier qui consiste à appliquer cette matière au quotidien, en bénéficiant de surcroît d’une grande liberté d’action.
Les salariés protégés sont essentiellement les représentants du personnel dans l’entreprise. La majorité d’entre eux est élue par les salariés : il s’agit notamment :
Ce statut particulier est destiné à permettre aux représentants du personnel d’exercer leur mandat : dans l’intérêt des salariés qu’ils représentent, ces personnes doivent en effet pouvoir discuter d’égal à égal avec le chef d’entreprise, contribuer à mettre en œuvre les prérogatives légales attachées aux instances dont ils font partie, revendiquer et parfois défendre des options opposées à celles de l’employeur pour essayer d’influer sur ses choix.
Bref, il est évident que les représentants du personnel seraient entravés dans leur action si l’employeur pouvait se séparer d’eux à tout moment ; il suffirait alors d’assumer le risque financier lié à d’éventuelles actions prud’homales exercées a posteriori.
Aux regard des enjeux liés au statut des représentants du personnel, il n’y avait pas de raison de faire un sort particulier à la rupture conventionnelle. Il est en effet nécessaire de s’assurer que le salarié a donné son consentement de façon libre et éclairée, qu’il n’a pas subi de pressions en raison par exemple du contexte conflictuel des relations sociales et qu’il n’a pas fait l’objet de discrimination.
S’agissant de la procédure de rupture conventionnelle, on peut relever trois différences notables par rapport aux salariés non protégés :
Les règles sont les mêmes que pour les salariés non protégés : l’indemnité de rupture conventionnelle doit être au moins égale à l’indemnité légale de licenciement, soit 1/5 de mois de salaire par année d’ancienneté auxquels s’ajoutent 2/15 par année au-delà de 10 ans d’ancienneté. Cette somme est calculée à partir du salaire brut moyen des 3 ou des 12 derniers mois, le montant le plus élevé étant retenu.
Les entreprises couvertes par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sont en outre tenues de faire la comparaison avec le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement et de verser ce montant s’il est supérieur à celui de l’indemnité légale. Cet accord ne s’applique que dans les entreprises qui relèvent du MEDEF, de l'UPA ou de la CGPME.
Concrètement, à titre d’exemple, ne sont pas concernées les professions agricoles, les professions libérales, le secteur sanitaire et social et les particuliers employeurs. Dans ces secteurs, l’indemnité de rupture ne doit être comparée qu’avec l’indemnité légale de licenciement.
Il va de soi que
En en ce qui concerne la possibilité de se faire assister pendant les entretiens préalables à la rupture, il n’y a pas de différence entre les salariés protégés et non protégés.
Le salarié peut se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise (représentant du personnel ou non). S’il n’y pas d’institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, il a également la faculté de solliciter un conseiller du salarié, choisi sur une liste officielle établie par l’administration.
Lorsque le salarié décide de se faire assister, il doit en avertir son employeur qui est alors également en droit de faire de même. Par contre, si le salarié se présente seul à l’entretien, l’employeur ne peut pas être assisté.
Attention, une personne en congé maternité ne bénéficie pas du même type de protection que qu'un représentant du personnel. Il faut se mettre d’accord sur ce qu’on entend par « salarié protégé ». Pour les praticiens du droit social, cette expression vise en principe les salariés titulaires de mandats de représentation du personnel, dont la rupture du contrat de travail est soumise à autorisation de l’inspecteur du travail.
Sans autre précision, la protection dont il est question renvoie donc à la nécessité d’obtenir une autorisation de l’inspecteur du travail pour mettre un terme au contrat.
Il existe cependant certaines situations où le législateur interdit la rupture du contrat de travail (ce qui n’est pas le cas pour les représentants du personnel). Sont notamment « protégés » à ce titre, les salariées enceintes ou en congé de maternité ainsi que les victimes d’accidents du travail ou de maladie professionnelle pendant les périodes de suspension de leur contrat de travail. Pour ces personnes, la rupture du contrat de travail est en principe impossible jusqu’à ce qu’elles réintègrent leur emploi.
Si l’employeur passe outre, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour obtenir sa réintégration ou des dommages et intérêts substantiels. Sauf – à la marge – si le salarié concerné est également représentant du personnel, ces situations ne relèvent donc pas de la compétence de l’inspecteur du travail dans le sens où il n’a pas à être saisi pour autoriser une rupture des relations contractuelles qui est par définition impossible.
Bien évidemment, dans un tel contexte, toute demande de rupture conventionnelle doit être refusée.
Par contre, hors accident du travail ou maladie professionnelle,
Le principe est que la rupture conventionnelle est exclue dans les hypothèses où il existe une procédure particulière qui met des obligations supplémentaires à la charge de l’employeur.
Une cour d’appel a ainsi récemment confirmé que la rupture conventionnelle ne pouvait pas être utilisée pour une salariée déclarée médicalement inapte à son poste de travail. L’employeur avait choisi cette procédure, entre autres, pour éluder son obligation de reclassement.
L’articulation avec les procédures de licenciement économique est plus complexe. Une instruction ministérielle du 23 mars 2010 précise qu’un contexte économique difficile n’interdit pas en soi de procéder à des ruptures conventionnelles. Il faut cependant s’assurer qu’on n’est pas en présence d’un détournement de procédure, par exemple en cas « recours massif à la rupture conventionnelle dans une entreprise ou un groupe confronté à un contexte économique difficile, susceptible, à court terme, de conduire à la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l’emploi ».
Autrement dit,
Un salarié nous avait demandé de refuser d’homologuer une rupture en faisant valoir qu’il suivait un traitement médical lourd et que, en arrêt maladie à la date de l’enregistrement de la demande, il ne souhaitait plus quitter son emploi. Nous l’avions suivi. On s’était notamment appuyé sur le fait que le Code du travail ne précise pas à quelle date la liberté de consentement du salarié doit être appréciée. Or, il était clair qu’au moment de l’instruction de la demande, le consentement du salarié n’était plus acquis. Après plus d’un an de procédure et alors que le salarié avait été entre-temps licencié pour inaptitude médicale, le conseil de prud’hommes nous a donné tort en départage. Selon lui, passé le délai de rétractation, le salarié ne peut plus revenir sur son consentement. De plus, la preuve d’un vice du consentement au moment de la signature n’était pas rapportée.
Il ne suffit pas d’avoir un doute, même légitime, quant à la réalité de l’assentiment du salarié, il faut être en mesure de démontrer que le salarié n’a pas librement consenti à la rupture. Les situations où nous disposons de suffisamment d’éléments pour étayer un refus à partir de ce seul motif sont finalement très rares, d’autant que la Cour de Cassation a récemment jugé que l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affectait pas la validité de la convention de rupture. Pour pouvoir refuser la rupture, il faut donc formellement rapporter la preuve que l’employeur est à l’origine de pressions, de menaces, voire d’actes d’intimidation, qui ont emporté l’adhésion du salarié.
Conseil final
Se faire conseiller, prendre le temps de réfléchir aux avantages et aux inconvénients de la rupture conventionnelle par rapport à sa situation, au besoin en sollicitant plusieurs entretiens, de façon à permettre une véritable négociation sur les conditions de départ. Et puis, si on signe un peu trop vite la convention, ne pas hésiter à utiliser la faculté de rétractation : si la procédure apparaît formellement régulière, il sera très difficile d’empêcher la rupture du contrat de travail une fois que le dossier est entre les mains de l’administration.