Pouvez-vous êtres liciencié parce que votre employeur estime que vous ne faites pas du bon travail ? La non-atteinte des objectifs fixés peut-elle entraîner le licenciement ?
Ces questions trouveront leur réponse dans la notion d'insuffisance professionnelle en Droit du travail.
Pour y répondre, nous avons réalisé une interview de Maître Adrien Roux dit Buisson, avocat inscrit au Barreau de Lyon.
Maître Adrien Roux dit Buisson ([email protected]), intervient auprès d’une clientèle constituée de salariés et d'employeurs en droit du travail et de la sécurité sociale.
L'insuffisance professionnelle constitue l’incapacité durable et objective d’un salarié à assurer de façon satisfaisante les missions qui lui incombent dans le cadre de son contrat de travail.
L’insuffisance professionnelle découle d’un comportement involontaire du salarié. Elle ne peut à ce titre faire l'objet d’une sanction disciplinaire, et notamment, d’un licenciement pour faute. Lorsque l'insuffisance professionnelle est constatée, elle peut faire l’objet d’une procédure de licenciement pour un motif individuel non-disciplinaire.
Pour autant, l'on observe en pratique que certains employeurs préfèrent se situer sur un terrain disciplinaire en évoquant le caractère délibéré de la mauvaise exécution du travail par le salarié. Cela permet à l’employeur de ne pas avoir à démontrer des mesures d’accompagnement et de ne faire la démonstration que du seul fait « fautif » en cas de contentieux
Les juridictions n'admettent ce glissement vers un terrain disciplinaire que dans l’hypothèse où l’employeur peut effectivement démontrer le caractère volontaire et délibéré du comportement reproché. A défaut, le licenciement peut être jugé dénué de cause réelle et sérieuse, les juridictions rappelant de manière constante que l'insuffisance professionnelle ne procède pas d'une démarche volontaire du salarié, et ne saurait à ce titre constituer une faute.
Aussi, les juridictions veillent à ce que la procédure disciplinaire ne soit pas dévoyée et utilisée à tort pour sanctionner, sous couvert d'un manquement délibéré, une véritable insuffisance professionnelle.
L'insuffisance professionnelle n’est pas définie par des critères précis, puisque son appréciation relève du pouvoir de direction de l'employeur, duquel découle la possibilité d’évaluer ses salariés.
Pour autant ce constat ne doit pas être arbitraire et doit reposer sur des faits réels, objectifs et précis, qui sont personnellement imputables au salarié en question, et dont l’employeur sera tenu de faire la démonstration en cas de contestation.
Il ne ressort ni du code du travail, ni de la jurisprudence une quelconque temporalité précise et la temporalité du constat est évaluée au cas par cas.
Plus généralement, l’on constate qu'une insuffisance professionnelle peut difficilement être constatée en moins de quelques mois. Les juridictions veillent à ce que le constat de l'insuffisance professionnelle n’intervienne pas de manière abrupte.
Le constat d’insuffisance professionnelle doit également intervenir de manière cohérente avec la situation du salarié.
À titre d'exemple : le salarié qui fait l'objet d’une promotion peut difficilement être considéré incompétent peu de temps après.
De la même manière, une insuffisance professionnelle qui interviendrait peu de temps après la reprise du travail (maladie, maternité, etc) ou après une mutation sur de nouvelles fonctions serait difficilement justifiable en cas de contestation.
Enfin, s’agissant d’un constat établi sur le long terme, toute insuffisance constatée par un simple test ou examen ne pourrait donner lieu à un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Il est primordial d'agir dès les premiers signes, et de formaliser toutes difficultés rencontrées dans l'accomplissement de ses missions.
Il est ainsi indispensable de faire remonter l'information à son supérieur hiérarchique si la mauvaise exécution reprochée découle en réalité, même partiellement, d'événements extérieurs ou de tierces personnes.
Si le travail demandé n'est pas faisable, soit en raison de la charge de travail, soit en raison des conditions de travail peu propices à une bonne exécution, cela doit également être formalisé par tous moyens (courriels, courriers RAR, messages textes).
Enfin, il faut accorder une attention particulière aux entretiens annuels d'évaluation, s’ils existent dans l'entreprise. Le code du travail ne les imposent pas, mais certaines conventions collectives, comme celle des établissements bancaires, le prévoient.
Ces entretiens annuels retiennent souvent l’attention des juridictions, qui s'appuieront sur des commentaires positifs pour écarter la réalité de l'insuffisance alléguée, où au contraire sur des commentaires négatifs pour retenir l'existence d’une situation d’insuffisance.
Tout d'abord, il faut préciser que l'insuffisance de résultats ne peut être opposée qu'à l'encontre de salariés dont les missions impliques la fixation d'objectifs quantifiables (c'est-à-dire principalement les fonctions commerciales ou les fonctions de direction). L'on ne saurait reprocher à un salarié de ne pas avoir atteint des résultats qui ne lui ont pas été précisément fixés au préalable, ou qui ne sont pas quantifiables. Il faut également que les objectifs fixés soient réalistes.
Plus encore, il faut bien comprendre que la seule insuffisance de résultats, c'est à dire, l'incapacité du salarié à atteindre les objectifs qui lui ont été fixés, n'est pas, à elle seule, une cause de licenciement. La Cour de cassation rappelle constamment qu'une insuffisance de résultats ne peut entraîner le licenciement du salarié que si elle repose sur une insuffisance professionnelle ou sur un comportement fautif du salarié (par exemple, en cas de résultats non-atteint en raison du comportement délibérément négligent du salarié).
Par exemple,un salarié commercial qui accepte les objectifs qui lui sont fixés, et qui dispose des moyens nécessaires pour les accomplir, pourrait faire l'objet d'un licenciement pour insuffisance professionnelle en raison de la non-atteinte de ses résultats, s'il ne parvenait pas à atteindre ses objectifs sur le long terme, et que les objectifs fixés étaient réalistes.
A l'inverse, l'employeur qui justifierait le licenciement de ce même salarié commercial, sur la seule non-atteinte des objectifs fixés, sans pouvoir démontrer ultérieurement de l'insuffisance professionnelle du salarié, c'est-à-dire, de son incapacité durable et objective d'assurer les missions qui lui sont dévolues, s'exposerait à ce que le licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse par les juridictions.
Aucune règle ne limite le pouvoir de l'employeur quant à la désignation d’une où plusieurs personnes pour évaluer le travail d’un salarié. Cela relève de son pouvoir de direction.
Les limites résident davantage dans les méthodes d'évaluation, lesquelles doivent faire l’objet d’une information individuelle et collective, et ne peuvent être effectuées de manière déloyale.
Le nombre de personnes constatant l’insuffisance importe peu, puisque les juridictions ne s'attarderont que sur la démonstration des faits réels, précis et objectifs sur lesquels se fonde l'employeur.
Par exemple, si le N+1 et le N+2 d’un salarié atteste de son incompétence, cela n’aura pas plus de poids que l’attestation d’une seule personne. Seule importera la capacité de l’entreprise à identifier précisément en quoi et ce pourquoi son salarié est incompétent.
Il est difficile de savoir quelle est la véritable proportion de licenciement pour insuffisance professionnelle qui sont effectivement contestés.
Et ce, parce que la démonstration d’une cause réelle et sérieuse de licenciement en raison de l’insuffisance professionnelle est difficile à rapporter, et que certains employeurs, comme évoqué plus tôt, préfèrent donner une connotation disciplinaire aux mauvaises exécutions reprochées afin de déplacer le débat sur un terrain disciplinaire, plus prévisible.
Les modèles de lettre de licenciement pour insuffisance professionnelle auront peu d'impact pour les salariés, en ce que la validité du licenciement dépend de la réalité des faits réels, concrets et précis dont pourra ou non faire état l'employeur.