Comment faire face au harcèlement moral au travail? Comment prendre en charge la souffrance au travail? Le Coin du Salarié a réalisé une interview de Nadine Maudinas, psychologue du travail dans un hôpital public. Elle apporte son expertise avec un regard différent sur l'organisation du travail et permettre aux professionnels de prendre du recul. Elle nous livre son témoignage sur le harcèlement moral au travail.
Je suis psychologue du travail dans un hôpital public. Le poste a été créé à la demande de la Directrice des soins qui souhaitait quelqu'un doté d'un regard différent pour penser l'organisation du travail et permettre aux professionnels, soignants et encadrants, de prendre du recul par rapport à leurs pratiques. J'exerce à 20% dans cet établissement. Depuis quelques années, la fonction de psychologue du travail se développe dans les services de santé au travail. Par contre, dans les entreprises privées comme dans les organismes publics, ce métier est encore trop rare. Quand il existe, il est souvent pourvu à temps partiel et surtout il est limité. En effet, si l'institution souhaite que le psychologue reçoive les salariés "en souffrance", elle ne lui permet pas d'intervenir sur "l'origine du mal", à savoir le travail, son organisation, son management.
Parler de harcèlement moral au travail renvoie à deux réalités :
Juridiquement, le simple fait de se sentir victime de harcèlement ne suffit pas à le constituer. Seul le juge, après avoir analysé les agissements de l'auteur et les conséquences subies par la victime, est en mesure de caractériser le harcèlement moral. Aujourd'hui, même si la jurisprudence évolue, nombreuses sont les affaires classées sans suite, par manque de preuves suffisantes. Et puis, certains salariés ne veulent pas aller jusque-là, faute de temps, d'argent et surtout faute de "foi". En effet, ils estiment le combat perdu d'avance dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer. Enfin, les personnes qui signent une rupture conventionnelle ne saisissent pas la justice.
Sur le terrain de l'entreprise, les situations de violence se banalisent, qu'il s'agisse ou non de harcèlement moral. Pour lutter efficacement, il convient d'aborder la question sous l'angle du travail, sans chercher à caractériser les agissements en cause et donc à parler de harcèlement moral.
Il m'est arrivé de rencontrer des salariés - et non des patients - estimant être "victimes de harcèlement moral". Après les avoir écoutés me parler des violences qu'ils subissent et des répercussions qu'ils observent sur leur travail et, le cas échéant, sur leur santé, j'étudie avec eux les actions qu'ils peuvent mettre en œuvre pour faire face.
Devant les troubles du sommeil, de l'alimentation, de l'humeur, de la concentration… il peut être urgent de se faire aider par un traitement approprié et parfois par un arrêt de travail. C'est souvent le premier conseil que je donne.
Il n'y a pas de règle a priori, ni de moment opportun. Seul le salarié décide, en fonction de sa santé, de son désir… c'est lui qui vit la situation.
Sur le long terme, l'unique solution est de mettre en œuvre des actions pour prévenir les violences au travail.
Qu'il reste à son poste ou qu'il le quitte, le salarié a besoin de soutien, de protection et de suivi. Dans l'entreprise, les relais "naturels" sont les collègues, la hiérarchie, les représentants du personnel… et le psychologue du travail quand la fonction existe.
Par ailleurs, le salarié peut faire appel au médecin du travail pour envisager un aménagement de poste et ainsi éviter d'être exposé à d'autres situations de violence.
Dans tous les cas, mon rôle est d'accompagner la personne dans son choix et la protéger de complications éventuelles.
Les causes des violences - pas seulement du harcèlement moral - sont multiples et complexes. Si elles ne s'enracinent pas toutes dans le management, elles ont toutes pour origine le travail.
Dès lors, les solutions passent par :
Laissons le harcèlement moral au juge et prenons à bras le corps le travail pour prévenir les violences