Un entretien annuel fait partie des processus RH et peut entraîner, lorsqu'il est mal réalisé des erreurs de management et de la démotivation chez les salariés. Mais, il peut aussi, lorsque l'on ne respecte pas certains process, entraîner des risques légaux. Nous revenons, avec Me Stéphanie Jourquin sur les erreurs à éviter lors d'un entretien annuel pour ne pas risquer des poursuites juridiques.
La première erreur à éviter est de ne pas se baser sur les critères objectifs qui ont été fixés en amont.
La seconde erreur à éviter est de refuser d’écouter le salarié, si celui-ci manifeste un désaccord avec son supérieur hiérarchique lors d'un entretien d'évaluation. En effet, l'entretien est l'occasion pour chaque partie de faire part de ses difficultés, récriminations, choix et incompréhension.
Une autre erreur à éviter consisterait à faire pression sur le salarié et lui laisser entendre qu’il n’a pas à faire état de ses doléances de son désaccord. A cet égard, il faut garder à l’esprit que le salarié reste soumis à un lien de subordination avec sa hiérarchie, qui ne lui permet parfois pas de s’exprimer réellement quant à ses attentes et ses avis sur l’atteinte des objectifs qui lui sont fixés.
Lors de l’entretien, il faut également éviter de dévaloriser le salarié et de le comparer à d’autres collègues de travail plus performants. Une telle erreur peut être constitutive de harcèlement moral (Cass. Soc., 16 mai 2012, n°11- 12.025).
De nos jours, l’obligation des employeurs est accrue en matière de bien-être des salariés au travail. Or, les entretiens peuvent avoir des effets négatifs sur la situation des salariés et peuvent fragiliser certains salariés ayant ponctuellement une mauvaise évaluation en réduisant leur possibilité d’évoluer dans l’entreprise (promotion financière, mobilité interne, etc.), voire en menaçant le maintien à leur poste.
A l’inverse, l’entretien d’évaluation peut pousser certains salariés à une surintensification au travail consistant à fournir un effort démesuré pour augmenter leur probabilité d’avoir une bonne évaluation.
En conclusion : il faut s’efforcer de conserver une neutralité et une transparence, tout en conservant des qualités d’écoute.
Il faut éviter de divulguer aux autres salariés le contenu de l’entretien individuel, afin d’éviter un climat de mise en concurrence entre salariés, non propice à la coopération et au maintien d’un bon climat social, et pouvant aller jusqu’à nuire à leur équilibre mental.
Par ailleurs, Il faut respecter les engagements qui ont été pris par l’employeur lors de l’entretien (engagement en termes de formation, d’objectifs, etc.).
Si l’entretien d’évaluation aboutit à une mauvaise notation du salarié, il faut prendre la précaution de faire suivre cet entretien annuel d'une discussion concernant le développement des compétences et un plan de développement personnel à établir pour favoriser une amélioration du travail du salarié.
Ce plan peut mettre en avant les domaines dans lesquels les performances du salarié sont en deçà des attentes, ainsi que des actions spécifiques nécessaires pour qu’il puisse y remédier, accompagné de données mesurables et de délais. L’employeur doit rester vigilant dans l’accompagnement de ses salariés, leur présenter clairement ses attentes et les améliorations attendues, en leur accordant des délais raisonnables et des conseils réguliers pour y parvenir.
Il faut éviter après l’entretien annuel d’infliger aux salariés qui auraient manifesté leur désaccord lors de l’entretien une sanction disciplinaire pour ces faits. En effet, une telle sanction risquerait d’être annulée (CA Chambéry, 19 janvier 2010, n°09-1180).
Il faut éviter de laisser l’entretien annuel sans suite : il est ainsi recommandé de le formaliser par un compte rendu écrit, qui sera ensuite signé par les deux parties, ceci afin de laisser une trace de ce dernier et de son contenu. En effet, l’évaluation est aussi un moyen pour les entreprises de remplir leur obligation générale d’adaptation des salariés à leurs postes de travail et à l’évolution de leur emploi, qui est prévu par l’article L 6321-1 du Code du travail. Conserver une trace de ce dernier permet donc de justifier de la satisfaction de cette obligation.
Ce support peut aussi s’avérer utile en matière de formation, en matière de licenciement économique (notamment dans le choix des critères d’ordre) et dans le cas d’une insuffisance professionnelle.
Les pièges à éviter seraient d’utiliser les informations transmises par le salarié lors de l’entretien pour décrédibiliser ce dernier en interne, ou le sanctionner. Il faut également prendre la précaution de formaliser par écrit le contenu de l’entretien et de le faire signer par les deux parties concernées sans trop tarder.
J’ai connu le cas d’un contentieux actuellement introduit devant le Conseil de prud’hommes par un salarié d’une multinationale, ayant fait l’objet d’un entretien annuel d’évaluation intervenu en trois temps, sur une durée de deux à trois mois, et qui a abouti à sa destruction mentale. Ce salarié a fait l’objet pendant le déroulement des entretiens d'évaluation, de reproches répétés et rapprochés dans le temps, de critiques fondées sur des critères subjectifs. L’entretien a été mené par le représentant de la société qui n’était pas son manager direct et s’est référé à des échos qui lui étaient rapportés par des collègues de travail du salarié concerné. Ce manager n’a jamais été le témoin direct du travail réalisé par le salarié. Il a agi comme un porte-parole lors des discussions sur les performances au cours de la procédure d'évaluation annuelle.
Aucun des engagements qui avaient été pris par l’employeur lors des entretiens annuels précédents n’ont été respectés (formation, activité sur le poste ; opportunités de développement, etc.).
De plus, l’évaluateur a enfreint les règles de respect mutuel, d’objectivité, de dialogue, d’équité pourtant rappelées dans les procédures internes de la société. Ces méthodes d’évaluation ont gravement impacté la santé mentale du salarié et l’ont fragilisé. Le déroulement de ces entretiens annuels a été effectué de telle sorte que le salarié soit placé dans une situation humiliante et dans l'impossibilité de contester les critiques formulées par son responsable.
Lors des évaluations précédentes, le manager n'avait formulé aucune recommandation, et s’était contenté de critiquer la qualité de son travail en lui attribuant une mauvaise note.
Lors de l’évaluation litigieuse, le manager a adopté pendant l'entretien une attitude provocatrice humiliante, contradictoire avec le précédent rendez-vous qui était intervenu à ce sujet un mois auparavant, ajoutant aux critiques précédemment formulées de nouveaux reproches. Mais surtout, le ton adopté à cette occasion a été particulièrement virulent et vexatoire. Il a aussi supprimé certaines des qualités reconnues aux salariés, qu'il avait validé auparavant, et a décidé de lui supprimer la possibilité de bénéficier d’une formation importante pour favoriser son développement.
De plus, lorsque le salarié a souhaité contester ces critiques et s'expliquer sur celles-ci, le manager ne l'a pas supporté et a été particulièrement violent en lui hurlant de sortir de son bureau et en bousculant les chaises pour l'intimider. Ensuite, après l'avoir croisé quelques instants plus tard dans les couloirs, il lui a indiqué qu'il allait recevoir un avertissement disciplinaire pour avoir osé contester sa décision. Ces menaces ont été mises à exécution.
Le salarié a été très perturbé par les conclusions de son entretien individuel, par la violence des critiques proférées à son égard et son impossibilité à se faire entendre pour qu'une solution puisse intervenir. Les conséquences sur son état de santé ont été dramatiques : il a été arrêté pendant plus d’un an, victime d’un suivi psychiatrique et médicamenteux et d’une hospitalisation durant six semaines dans un service psychiatrique. Il a bien évidemment dénoncé les agissements du manager auprès de sa hiérarchie qui a décidé de mener une enquête interne. Cette enquête a mis à jour les dysfonctionnements des méthodes d’évaluation pratiquées dans cette société, ce qui a conduit à une révision des méthodes de gestion auparavant mises en place.
J'ai connu aussi le cas d’une salariée ayant fait l’objet d’une évaluation annuelle, alors qu’elle était enceinte de huit mois, et lors duquel son employeur lui a fait divers reproches non pas sur la nature de son travail mais sur son manque de neutralité à l’égard de certains de ses supérieurs.
La salariée a découvert lors de cet entretien les critiques, qui ont été formulées à cette occasion à son encontre, et a reproché à l’employeur de ne pas lui en avoir fait la remarque auparavant, afin qu’elle puisse y remédier. En effet, elle lui a reproché de ne pas avoir communiqué sur ses critiques avant l’entretien annuel.
La vivacité de ces critiques la conduite à être arrêté pour maladie, certainement en raison de son état de grossesse.
Conclusion : Il ne faut pas attendre l’entretien annuel d’évaluation annuel pour faire état de critiques auprès des salariés. Il faut s’efforcer de communiquer avec ces derniers tout au long de l’année.