Les règles du droit international privé régissent la situation des salariés qui se déplacent en raison de leur contrat de travail. Une telle situation peut provenir de raisons inhérentes à leur activité (marins, journalistes…) ou pour des raisons liées aux nécessités économiques de l’entreprise.
Ces situations sont diverses :
Le contrat de travail se trouve alors théoriquement rattachable à plusieurs systèmes juridiques. La mise en concurrence se révèle en cas de litige à travers deux questions :
Il convient de résumer cela sommairement :
A) Le caractère obligatoire de la Convention de Rome et du règlement Le caractère obligatoire de la Convention de Rome et du règlement)
B) Le caractère universel Le caractère universel)
C) La notion de contrat de travail La notion de contrat de travail)
[1. La qualification de contrat de travail](#1. La qualification de contrat de travail)
[2. La qualification de contrat de travail international](#2. La qualification de contrat de travail international)
A) Liberté de choix fondée sur l’autonomie de la volonté Liberté de choix fondée sur l’autonomie de la volonté)
B) Les limites de la liberté de choix des parties, ou l’exigence de protection des salariés Les limites de la liberté de choix des parties, ou l’exigence de protection des salariés)
A) La loi du lieu d’exécution habituelle du contrat La loi du lieu d’exécution habituelle du contrat)
B) La loi où se situe l’établissement d’embauche La loi où se situe l’établissement d’embauche)
C) La loi du pays avec lequel le contrat présente les liens plus étroits La loi du pays avec lequel le contrat présente les liens plus étroits)
Tout d’abord, la convention de Rome et le règlement Rome I ont un caractère obligatoire. Elles s’imposent au juge s’il relève d’un Etat lié par cette convention ou ce règlement.
Le juge fera une application de la convention, indépendamment du pays dans lequel la mobilité a lieu, même lorsque la mobilité s’exerce hors de l’Union Européenne. Le salarié qui travaille en France et en Chine. Ce qui compte c’est le juge saisi.
Il y’a donc des cas ou la loi d’un Etat tiers à l’Union européenne s’appliquera, en raison des critères de rattachement. Si le juge français est saisi d’un litige et en appliquant les critères, il voit que c’est la loi chinoise : il appliquera la loi chinoise même si la Chine n’est pas liée par la Convention de Rome.
L’article 8 du règlement (et 6 de la Convention) est consacré au contrat individuel de travail, mais aucune définition du contrat de travail international n’est proposée.
La qualification du contrat dépendra du juge saisi qui statuera selon son droit national. Le juge français se réfèrera au lien de subordination, sans prendre en compte la qualification donnée par les parties.
Le juge de l’Union Européenne n’a pas eu à statuer sur la qualification du contrat de travail. Il reprendrait surement sa jurisprudence relative au contrat de travail internationale.
On peut citer l’arrêt de la Cour de justice des communautés européenne Lawrie Blum du 3 juillet 1986. Il définit le contrat de travail de la manière suivante : lorsqu’une personne accomplit pendant un certain temps en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie duquel il touche une rémunération. Cela ne varie pas considérablement de la définition française.
Il y’a une différence entre ce qu’est un contrat de travail et un contrat de travail international. Il faut un conflit de loi. L’article 1 de la convention de Rome et du règlement Rome I pose qu’ils s’appliquent dans des situations comportant un conflit de lois. Cela signifie que si tous les éléments d’un contrat sont localisés dans un seul Etat, la loi de cet Etat est applicable. On ne fait pas jouer les règles du droit international privé.
Tout d’abord, elle peut résulter de la seule volonté des parties de donner au contrat un caractère international. Par exemple, en se référant à une autre loi que celle qui correspond à la localisation du contrat. Dans une telle hypothèse, la convention prévoit qu’en tout état de cause, les dispositions d’ordre public de la localisation seront appliquées. Les parties peuvent internationaliser le contrat mais dans une certaine limite.
En dehors de cette hypothèse, l’internationalisation doit s’appuyer sur des données objectives :
La plupart des litiges naissent de l’exécution du travail à l’étranger : l’extranéité du lieu de travail notamment à l’occasion de période de détachement ou d’expatriation. A priori, la nationalité des salariés n’est pas prise en compte.
Il faut savoir que, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur d'un protection auquel il à droit. Cette protection est celle qui découle des dispositions impératives de la loi d'un état, qui serait applicable à défaut de choix des parties.
L’objectif est d’empêcher que, la liberté de choix du droit applicable conduise à priver le salarié d’une protection minimale qui lui est due.
La règle de rattachement principale réside dans la combinaison d’une part, de la loi choisie par les parties et, d’autre part, les dispositions d’ordre public de la loi applicable à défaut de choix.
Clairement, le principe est que le contrat de travail est régi par la loi choisie par les parties. Ce choix s’impose au juge, sauf si le contrat n’est pas international.
L’enjeu est important car au sein de l’Union Européenne, il existe de fortes disparités de législations du travail. Les niveaux de protection sont différents d’un pays à l’autre. De manière négative, le choix de la loi ouvre aux entreprises la possibilité d’échapper aux législations trop contraignantes.
Le risque existe que la loi choisie par les parties ne reflète pas la volonté commune des parties mais surtout celle de l’employeur.
Le choix de la loi applicable peut être opéré à tout moment et donc pas nécessairement au moment de la conclusion du contrat. On peut changer par avenant.
La désignation d’une loi n’est jamais définitive. Les parties peuvent convenir à tout moment de faire régir le contrat par une loi autre que celle qui le régissait auparavant. En cas de licenciement, on peut même imaginer que le choix de la loi se fasse au moment de la rupture.
Le choix peut être expresse ou tacite.
Le choix explicite prendra la forme d’une clause désignant directement la loi de telle ou telle pays, ou indirectement en disant par exemple « la loi où se trouve l’établissement d’embauche ».
L’absence de clause ne signifie pas l’absence de choix. La détermination de la loi applicable requiert des investigations du juge en cas de choix tacite. Le juge se déterminera à partir d’indices appréciés souverainement ce qui ne va pas sans approximation.
Quels sont ces indices ?
Le choix de la loi applicable peut conduire à morceler le contrat. Les parties peuvent désigner la loi applicable. Elle peut être applicable dans la totalité dans une partie du contrat.
Evidemment, il faut que l’employeur y consente, ce qui n’est pas du tout acquis pour le salarié.
De plus, encore faut-il que les parties ait une connaissance suffisante du contenu des lois pour livrer une comparaison. Pour éviter que la loi soit imposée par l’employeur, on a mis en place des protections.
En effet, comme il a été dit, quel que soit le choix des parties, une protection minimale du salarié doit obligatoirement être assurée. Les dispositions applicables à défaut de choix des parties sont celles de la loi objectivement applicable. Le plus souvent, c’est le lieu d’exécution du contrat de travail.
La Cour de cassation avait eu l’occasion de préciser ce qu’il fallait entendre par « dispositions impératives de la loi objectivement applicable » et les « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » (Cass. Soc. 12 novembre 2002 Briand c Institut culturel autrichien).
Ces dispositions renvoient aux dispositions d’ordre public et en droit du travail à l’ordre public social.
La liberté de choix est donc largement atténuée. Une protection minimale du salarié lui est due. Cette loi de rattachement objectif est la loi la plus proche de la relation de travail. Les dispositions d’ordre public de la loi objective sont un minimum. On combine autonomie, proximité et protection des salariés.
Ce système confère au juge un rôle conséquent. Le système fonctionne ainsi :
Il agit ainsi, même si cela prive le salarié des éléments favorables de la loi choisie et les éléments plus favorables de la loi de rattachement objectif.
Pour la Cour de cassation, la détermination du caractère plus favorable de la loi doit résulter d’une appréciation globale des dispositions de cette loi (Soc. 12 novembre 2002 Briand c Institut culturel autrichien).
Dans ce cas d'espèce, une salariée travaillait en France pour l’institut culturel autrichien. Le contrat de travail désignait la loi autrichienne. Elle a été licenciée en vertu du droit autrichien. Le juge a estimé que les dispositions d’ordre public de la loi française devaient s’appliquer. La loi française sur le licenciement a été jugée plus favorable que la loi autrichienne.
Quand on parle de comparaison globale, il faut comparer le même objet : le droit du licenciement (et non le droit du travail en général). C’est la cause et l’objet du litige qui sont comparés.
A défaut de choix de la loi applicable, le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur exécute habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays.
Ce sont des dispositions importantes. On a un double enjeu :
Si on compare les deux dispositions (article 6 convention et article 8 règlement), on voit que le contrat est régi par le lieu d’exécution habituelle du contrat. Ce critère répond à un impératif de proximité.
Lorsque le travail s’effectue de façon stable dans un pays, c’est en principe avec ce pays que la relation de travail entretient les liens les plus étroits. Cela permet de présumer la connaissance de cette loi par le travailleur. C’est un rattachement objectif.
Le règlement Rome I considère que « le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n’est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays ».
Le détachement est par essence de courte durée. Il ne peut donc remettre en cause les liens entre la relation de travail et le lieu d’exécution habituelle, d’où le maintien du lieu d’exécution habituelle.
C’est une fiction : on fait comme si le salarié ne s’était pas déplacé. Par exemple, un salarié a toujours travaillé en France. Son employeur l’envoie pour quelques temps en Espagne. La période est courte : l’application du droit français est maintenue. C’est le maintien de la loi d’origine ou de la loi de détachement. Même un an, on est encore dans le détachement.
La jurisprudence relative à la sécurité sociale sur les travailleurs migrants et les dispositions françaises sur le détachement (article L.1261-1 et suivants du code du travail) permettent d’extraire les éléments caractéristiques.
Le détachement implique le maintien d’un lien suffisamment étroit entre le salarié et l’employeur d’origine. La relation de subordination doit être maintenue entre le salarié et son employeur.
Le Code du travail évoque les salariés détachés en France. Les articles L.1262-1 et L .1262-2 du Code du travail disposent qu’un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu’il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement.
Il faut donc l’existence d’un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et surtout le maintien de la relation de travail. La durée n’est pas précisée.
L’article L.1262-2 du Code du travail français (dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015) va dans le même sens en prévoyant qu’un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement lorsqu’il exerce dans l’Etat où il est établi, des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue. La création du bureau est du dumping social.
Il est nécessaire que l’entreprise qui procède au détachement exerce une activité réelle sur le territoire d’un Etat membre où elle est établie et depuis lequel a lieu le détachement (Arrêt CJUE Blum 9 novembre 2000).
La difficulté de qualification vient de la durée. Le maintien de la loi habituelle n’a de sens que si le détachement est temporaire.
Aucune durée ne figure dans les textes de droit du travail. Les textes de sécurité sociale la fixaient à 1 an mais, aujourd’hui, c’est 2 ans. C’est une indication. Pour qu’on puisse parler de détachement temporaire, le travailleur est censé reprendre son travail dans le pays d’origine après l’exécution de son travail à l’étranger.
Si le travailleur n’accomplit pas son travail dans un même pays, le contrat est régi par la loi du pays où se trouve l’établissement où a été embauché le travailleur.
La question est de savoir ce qu’est l’établissement d’embauche.
C’est le lieu de conclusion du contrat. La notion d’établissement est assez large pour inclure un établissement principal et un établissement secondaire. La notion d’établissement implique un minimum de stabilité. L’établissement doit-il avoir la personnalité juridique ? La Cour de justice de l'Union Européenne estime que non dans un arrêt Jan Voogsgeerd contre Navimer SA du 15 Décembre 2011.
La Cour a affirmé que l’établissement d’embauche devait être entendu comme l’établissement qui a procédé à l’embauche du travailleur.
Ce n’est pas le lieu d’occupation effective. C’est l’établissement qui a conclu le contrat. Ce n’est pas forcément le lieu où le salarié exécute son travail. Il peut conclure le contrat au siège social. En revanche, cela ne conduit pas forcément à la loi la plus proche de la relation de travail.
C’est la clause d’exception ou clause finale au rattachement fixe que l'on vise ici.
Les règles de rattachement fixe, que sont la loi du lieu d’exécution et la loi de l’établissement d’embauche cèdent devant la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.
Première utilité de la clause d’exception : écarter la loi du lieu d’établissement d’embauche
La pratique montre que cette règle est mise en œuvre pour écarter la loi du lieu d’établissement d’embauche lorsque le travail est éparpillé. Le travail est si éparpillé qu’il n’est pas possible de déterminer un lieu habituel de travail.
La loi de l’établissement d’embauche sera souvent écartée pour la loi avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits. La loi du lieu d’établissement d’embauche ne conduit pas nécessairement à l’application de la loi la plus proche du contrat.
Ainsi, la clause d’exception présente une utilité : appliquer une loi proche du contrat.
Elle écarte la loi de l’établissement d’embauche au profit de la loi avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.
Deuxième utilité de la clause d’exception : le cas de la mise à disposition de longue durée
En cas de mise à disposition de longue durée, cette clause d’exception permettra de conserver la loi d’origine lorsque des liens continuent de l’unir au pays d’origine. Dans ce cas, on écarte la loi du lieu d’exécution au profit de la loi d’origine. Si la durée est longue, ce n’est pas du détachement. On prend comme critère la loi du lieu d’exécution.
Mais s’il a conservé des liens étroits avec son pays d’origine, on peut écarter le lieu d’exécution au profit de la loi avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.
Le juge prend alors en compte plusieurs critères:
Les lois de police sont des dispositions qui ne tolèrent pas de conflit de loi. Elles seront en tout état de cause applicable.
La principale difficulté est de définir la loi de police est de déterminer les domaines qui rentrent dans les lois de police. C’est assez difficile parce que les lois de police sont définies par la loi du juge saisi.
Théoriquement, il y a autant de conception que d’Etats. L’article 9 § 1 du règlement Rome I pose qu’une loi de police est "une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ces intérêts publics tel que son organisation politique, sociale ou économique au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application quel que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le règlement".
Si le juge français est compétent sur le contrat de travail alors que la loi italienne est applicable, le juge français appliquera tout de même la loi de police française.
La Cour de justice de l'Union européenne entend exercer son contrôle. Ce contrôle intégrera la notion de raisons impérieuses d’intérêt général dès lors que sont en jeux des libertés de circulation (notamment celle du travailleur).
Les lois de police ne pourront être appliquées que si elles se rattachent à ces raisons impérieuses d’intérêt général. Le juge a constaté à plusieurs reprises que la protection du milieu de travail et la protection de la santé des personnes rentrent dans le cadre des raisons impérieuses d’intérêt général.
En France, l’examen de la jurisprudence montre que, sont des lois de police :
Le régime général du licenciement n’entre pas dans le domaine des lois de police (arrêt Cass. Soc. Mjorndal 29 mai 1991).
En revanche, dans un arrêt précédent (Conseil d'état, Compagnie des Wagons Lit 29 juin 1973), le Conseil d’Etat avait considéré que le licenciement de salariés protégés (investis de fonctions représentatives) relevait des lois de police car les IRP relèvent des lois de police.
En réalité, la loi déclarée applicable s’applique à toute la vie du contrat :
La notion de loi doit être entendue largement. La loi applicable désigne non seulement les normes étatiques (Constitution, traités ratifiés, la loi elle-même, les décrets, les règlements et même la jurisprudence) mais aussi les normes négociées (conventions collectives).
Le sort des conventions collectives est plus délicat. La Convention de Rome et le règlement Rome 1 traite du contrat individuel du travail si bien qu’on s’est demandé s’il fallait inclure les conventions collectives.
L’application du droit français implique, selon la Cour de cassation, l’application des conventions collectives qui font partis intégrante du droit du travail français (Arrêt Cass. 1ère Civ. Masson 7 nov. 1991). Dans cet arrêt, la loi française, incluant les conventions collectives était applicable à une personne qui travaillait à New-York.
La volonté des parties de se soumettre à la convention collective d’un pays est un indice pour le juge du choix implicite d’une loi. On voit bien qu’il y a une harmonie entre la loi applicable et les conventions collectives de ce pays.
Dans certains cas, il peut y avoir une dissociation entre la convention collective applicable et la loi applicable. En effet, certaines conventions collectives comportent des clauses d’application territoriale qui les empêchent de trouver application à l’étranger (clause de territorialité).
Donc, on applique la loi française sans appliquer la convention collective qui y est pourtant rattachée. Le salarié détaché reste soumis à la loi française et la convention collective, sauf si cette dernière comporte une clause de territorialité.
L’inverse est également vrai. Les parties peuvent décider au moment du départ d’un salarié à l’étranger, que la convention collective française suivra le salarié mais sans choisir pour autant la loi française. Le choix des parties peut se porter sur certaines dispositions de la convention collective et non la totalité (ex : clauses relatives au licenciement).
Conclusion : Le contrat de travail international et/ou européen est particulier. Il faut faire attention a la loi auquel le salarié est soumis. Les entreprises peuvent en profiter pour appliquer un régime juridique qui leur est plus favorable.