Qu'est-ce que la souffrance au travail ? Quels sont les signes montrant qu'un salarié souffre au travail ? Quel est le rôle du psychologue en cas de souffrance au travail ? Quelles solutions peuvent être envisagées pour le salarié ? Le salarié doit-il quitter l'entreprise ?
Psychologue en institution et en cabinet privé depuis 10 ans après avoir été chef de service, journaliste et animateur socioculturel. La pratique clinique du psychologue clinicien du travail Lionel LEROI-CAGNIART soutient celles et ceux qui vivent une souffrance au travail ou un temps de transition…
La souffrance au travail est première, mais elle n’est pas essentielle au travail. Si le travail permet de se réaliser au sens large, il est donc aussi un plaisir. Au fait, c’est quoi le travail ? C’est ce qui se trouve entre la tâche prescrite (ce qui est à faire) et l’activité réalisée (ce qui est fait pour parvenir à la tâche). C’est la réponse, l’intelligence, la créativité que déploie le salarié pour surmonter l’inattendu du réel qui se présente à lui.
Un serveur qui tombe en panne, un collègue absent, un retard de courrier, une panne électrique, un embouteillage… toute sorte d’événements qui perturbe le déroulement ordinaire du prescrit qui ne peut prévoir l’inattendu du réel. Ne pas reconnaitre que les salariés surmontent les impasses du réel, c’est déjà faire souffrir.
La souffrance au travail se situe dans l’angle mort du rétroviseur censé refléter le travail réalisé. Donc, ne pas reconnaitre les efforts, évaluer uniquement le résultat obtenu, mesurer juste la tâche quantifiable… c’est oublier que derrière les résultats, des petits génies de la débrouille ont fourni des efforts qui n’étaient pas attendus et qui demeurent essentiels. Regarder le doigt qui montre la lune, ça peut être désobligeant et faire souffrir.
Les signes qui relèvent du psychique ou du somatique ? Nous savons tous que le corps qui se tord de douleur parle. Nous savons aussi que celui qui parle de douleur invisible souffre. Impossible ici d’être exhaustif. En dehors des longues listes des symptômes répertoriés pour chaque pathologie repérée dans le champ du travail, le premier des signes se trouve dans l’expression orale et physique de la souffrance. Ne pas faire le sourd aide à bien entendre. Cela vaut pour celui qui joue à l’aveugle qui ne veut pas voir.
L’une des règles de base pour le psychologue du travail est d’aller voir du côté de l’organisation du travail et non du côté de la psyché du travailleur. En effet, si le travail est adapté à l’homme comme le requiert la loi (Article L. 4121-2 alinéa 4), il n’y a pas de raison de penser que c’est l’homme qui est inadapté. Le rôle du psychologue du travail consiste donc à aider le salarié à faire la part des choses. Il s’agit de lui permettre de surmonter les difficultés ou d’organiser son éloignement d’un danger consécutif à l’incapacité de son entreprise à organiser le travail.
Le salarié suivi par un psychologue du travail peut être amené à aider sa hiérarchie. (C’est presque de l’humour). S’il comprend les travers organisationnels dans lesquels il est pris, il peut souhaiter faire évoluer l’organisation. Encore faut-il que celle-ci accepte de se remettre en cause.
Participer à l’élaboration du D.U. (Document Unique) des Risques Psycho Sociaux peut permettre de développer des collaborations aux antipodes des conflits. A l’inverse, le salarié suivi et conseillé peut aller soit au conflit, soit sortir de l’entreprise, soit changer d’orientation et préparer une reconversion. Le plus important est de ne pas rester seul, et surtout de ne pas s’enfermer dans des passions tristes ou des résistances sans lendemain.
Il n’y a pas de solution univoque en la matière. Quitter l’entreprise ne convient pas toujours en période économique tendue. Les solutions sont à envisager en fonction du niveau d’études, du secteur économique, s’il est sinistré ou pas etc. Quoi qu’il en soit, même pour une sortie négociée, ne pas être seul, être soutenu, conseillé, permet de ne pas être liquidé sur l’autel des mauvaises raisons qui fourmillent au café du commerce. Et que savent entretenir les tenants d’un libéralisme effronté.
Quel que soit le type de souffrance éprouvée au travail, il faut toujours écouter son âme et son corps. Il suffit de ne pas aller bien pour commencer à s’interroger. Et surtout pour engager la conversation avec les collègues quand il y en a. Le mieux est de ne pas rester seul. Le collectif sera toujours le meilleur des remparts contre les dépressions qui s’annoncent. La moindre des perturbations au travail doit être analysée pour ne pas la laisser enfler. Vous risqueriez de vous étouffer. Prévenir vaut mieux que soigner.